Histoire
Le Barreau du Vald’Oise « entre tradition et modernité ». Valérie Ménès-Redorat
La cité judiciaire de Pontoise est construite dans le prolongement des murailles de la ville sur le projet remporté par l’architecte Henri Ciriani. Elle vient remplacer le tribunal construit en 1886, place Nicolas Flamel, devenu trop étroit et ravagé par un incendie criminel le 31 décembre 2002. Au grand deuil occasionné par cette perte pour la profession judiciaire, succède la naissance de la cité judiciaire en 2005, inaugurée en janvier 2006. Elle reflète tout à la fois la tradition et la modernité de la justice du Val d’Oise. Sa salle des pas perdus est dans la tradition, son architecture de verre, de bois et de béton dans la modernité. Le tribunal sur les murailles symbolise cette originalité valdoisienne d’être entre deux mondes, entre province et Paris, entre passé et futur.
A l’instar de la cité judiciaire, la nouvelle Maison de l’Avocat installée 6 rue Taillepied à Pontoise, en 1991, est un pont entre l’histoire et la modernité dans sa conception architecturale même. Cette nouvelle Maison de l’Avocat offre une belle bibliothèque, une grande salle de réunion et des bureaux spacieux, modernes et confortables aux avocats, à deux pas du tribunal. Elle accueille, depuis septembre 2018, un Musée de l’histoire de l’Ordre, petit cabinet précieux de curiosités judiciaires locales, à l’initiative des Bâtonniers Bourlion et Dupaquier et avec le soutien du directeur des Musées de Pontoise, Christophe Duvivier.
Ces deux lieux sont fréquentés par les avocats du Val d’Oise qui portent en eux ce double héritage. Forts d’une longue tradition judiciaire qu’ils défendent et revendiquent, ils sont tournés vers le futur, protégeant leurs valeurs déontologiques et la qualité de la justice pour garantir un avenir équitable à leurs clients. Héritiers des dynasties d’avocats et de juges pontoisiens, les avocats d’aujourd’hui représentent la grande diversité locale qui est la richesse du bassin du val d’Oise.
Leur Barreau, fondé le 26 octobre 1887, est né d’une longue histoire judiciaire originale qui a été fixée au XIIe siècle dans la charte d’indépendance de la ville accordée par Philippe Auguste en 1188. Le Capétien leur accorde une justice urbaine indépendante, aux côtés de la sienne, royale, en son château de Pontoise. Puis saint Louis, ce roi aimant à venir à Pontoise et dont la mère fondé Maubuisson, oblige l’archevêque de Rouen à établir un grand vicariat à Pontoise, l’actuel CIAP et Musée Tavet, pour garantir la proximité de la justice ecclésiastique pour tous les justiciables. Les justices des bourgeois et des églises et abbayes locales viennent grossir les rangs de cette justice multiforme qui ne disparu qu’avec la Révolution. Si les révolutionnaires suppriment le Parlement en 1790 et abolissent les corporations (donc l’Ordre) en 1791, Napoléon rétablit le ministère d’Avocat en 1804 et les Barreaux dans les grandes villes en 1810. Sous la IIIe République, la « République des avocats », l’autorisation de fonder des Barreau locaux à peine octroyée par l’Etat, les avocats de Pontoise, membres du parti républicain radical, Colfavru, Perillier, Hubbard, Vergoin, Dufour et Marot créent leur Barreau à leur image : humaniste et laïc. Ils réclament et défendent la paix, le suffrage universel, l’égalité entre les hommes et les femmes, la séparation de l’église et l’Etat – tel Aristide Briand, avocat de Pontoise, rapporteur de la loi de 1905 – la protection des ouvriers, les libertés publiques, l’enseignement égal, gratuit et obligatoire pour tous, l’Etat de droit. Cette riche et longue histoire a fait l’objet de trois ouvrages sur l’ Histoire du Barreau du Val d’Oise par le Bâtonnier Dupaquier et Valérie Ménès-Redorat, historienne du droit à l’Université de Cergy-Pontoise.
Au XXe siècle, les avocats de Pontoise se multiplient après la seconde guerre mondiale pour atteindre le nombre de 450 aujourd’hui. Le Barreau s’ouvre aux avocats des classes plus modestes et intègre aussi les avoués en 1971 et les conseils juridiques en 1991. Humaniste toujours, il noue des jumelages forts et fidèles avec les Barreaux de Saigon au Vietnam (1980), de Rimilcu en Roumanie, des Trois-Rivières au Canada (1990), de Kigali au Rwanda (1994) et d’Arlon en Belgique. Il s’engage toujours dans la protection des plus faibles comme dans les grandes affaires qui ont défrayé la chronique, celle du talc Morange, du sang contaminé, de l’excision, du parricide, des crimes contre l’humanité… Toujours égalitariste, il accorde une place de plus en plus grande aux femmes en son sein, la première Bâtonnière est élue en 1968, et elles représentent aujourd’hui 53% de la profession. La parité au Barreau, au conseil de l’Ordre et la place des jeunes dans les instances est une préoccupation constante et ancienne. Défenseurs de l’Etat de droit et des libertés, ses pénalistes et ses défenseurs des droits de l’homme et du droit d’asile et des étrangers, du droit de la santé se battent au quotidien pour préserver les libertés individuelles, pour la défense des droits et la protection des détenus. Engagés dans la politique comme à leurs origines, ils mènent des actions au sein de leurs instances nationales, des syndicats et du gouvernement pour la protection de leur profession indispensable à la protection des justiciables. Députés, maires, tel le Bâtonnier Houillon, membres et présidents d’associations (Sauvegarde 95, ESPERER 95 et Besoin de Justice, Association Avocats sans Frontières…), membres bénévoles des maisons de justice…, ils œuvrent au-delà de l’avocature pour leur communauté.
Le Barreau du XXIe siècle porte toujours ses valeurs traditionnelles pour ses justiciables et tourne son regard vers l’avenir. Toujours préoccupé par l’enseignement et pour l’améliorer encore, il ouvre sa formation continue vers l’Université de Cergy-Pontoise pour de nouveaux partenariats avec les enseignants chercheurs et les étudiants accueillis dans les cabinets locaux pour la formation et la promotion des futurs avocats. Pour défendre la déontologie et l’art oratoire, au fondement de la profession, ils enseignent à l’université et à l’HEDAC, école des avocats, participent aux concours des droits de l’homme au mémorial de Caen, invitent les étudiants à se frotter aux jeunes avocats lauréats lors des concours d’éloquence. Le Barreau encourage à la spécialisation et à l’excellence, à la voie vers les nouvelles niches juridiques. La loi de modernisation de la justice du XXIe siècle se déploie dans le Val d’Oise, portée par des avocats soucieux de garder un lien avec leurs justiciables et de défendre au mieux leurs intérêts et leurs droits. Le Barreau 2.0 développe les sites des cabinets, surveille la communication et la publicité, s’équipe des dernières technologies pour permettre un traitement plus rapide des données et des affaires tout en veillant à la confidentialité et au secret essentiel à la profession. Toujours humanistes, les avocats restent dubitatifs et prudents face aux « machines de justice prédictive » car l’humain est toujours et doit toujours être au cœur de la justice. Farouches défenseurs de l’aide juridictionnelle, les avocats du Val d’Oise réfléchissent à son amélioration pour une meilleure protection des plus faibles dans le respect du travail de l’avocat. A l’écoute des voix et des espoirs des plus jeunes, il s’adapte aux nécessités et urgences du temps présent.
Barreau à taille humaine, dynamique, toujours en mouvement, au cœur de projets locaux, nationaux et internationaux (aide en Haïti, formation des avocats au Rwanda, au Kirghizistan et à Tunis, défense en Guadeloupe, au Maroc, à Brazzaville…), ses membres n’en oublient pas les valeurs et vertus ancestrales de leur serment : humanité, liberté, indépendance, dignité, diligence, conscience, courtoisie, compétence confidentialité, confraternité, désintéressement, probité, loyauté et honneur, prudence, délicatesse et modération. Ils s’appuient sur cet héritage pour développer leurs qualités professionnelles et mettre leur savoir faire unique au service des justiciables. Les avocats du Val d’Oise sont des hommes et des femmes passionnés, voués et dévoués à leurs clients. Leur conseil de l’Ordre et ses commissions veillent aux intérêts de la profession et des justiciables. Leurs Bâtonnier.es font vivre et modernisent le Barreau par les multiples projets engagés tout en exerçant une autorité vigilante et bienveillante au service de la bonne tenue de la justice.
Le parlement
Pontoise est une ville royale, dédiée à Saint Louis, mais aussi aux faits de justice. Le Parlement y a été exilé à trois reprises : en 1652, en 1720 et en 1753. Le parlement de l’époque est issu du Conseil du Roi. Il est l’ancêtre de la Cour de Cassation et par raccourci, du Conseil d’Etat mais encore de l’actuel parlement.
La fondation
Ils sont huit à constituer le Barreau.
Jean Claude Colfavru, du premier Bâtonnier de Pontoise, Gustave Hubbard, Castor Perillier, Maurice Vergoin, tous députés, Georges Dufour et Léon Marot ainsi que les stagiaires Vincent Couturier, César Bonnet.
Jean Claude Colfavru fût le premier Bâtonnier de Pontoise et à l’origine de la création de la ligue des Droits de l’Homme. Il fût député sous la seconde république et emprisonné. Victor Hugo lui écrivit en 1848 : « vous souffrez, cela me suffit. Hier, je vous combattais, aujourd’hui, je vous défends. »
Pontoise a connu d’illustres Bâtonnier dont Aristide Briand qui construit sa carrière politique alors qu’il est avocat au barreau de Pontoise, de 1900 à 1909. Député en 1902, il rapporte la loi de séparation de l’église et de l’Etat en 1905.
Briand est Ministre de la justice en janvier 1908. A ce titre, le Barreau ne peut qu’éprouver de la fierté à compter parmi ses anciens, le premier Garde des Sceaux à proposer l’abolition de la peine de mort. C’était il y a cent ans. Le barreau de Pontoise est alors une petite assemblée composée de 5 à 20 membres et va le rester pendant une centaine d’années. Le nombre de parlementaires qui le compose est réduit à néant après la première guerre mondiale alors qu’il a compté, de sa fondation à 1914, 7 députés.
Aristide Briand a été lui, 11 fois président du Conseil et 23 fois ministre, son premier mandat de Président du Conseil entraînant sa démission du Barreau. Après la première guerre mondiale, notre petite communauté provinciale verra principalement s’installer des lignées familiales comme la famille Varault, Raymond, le père de Jean Marc étant d’abord avocat puis avoué puis à nouveau avocat et son deuxième fils deviendra Président de notre Tribunal. La famille Farge s’est installée peu avant. Il y a aura le père, le fils et son épouse et le petit fils. A la sortie du second conflit mondial, ce sont encore les familles Fabre père, mère et fils dont Andrée qui sera la première bâtonnière du Département, Petit père et fils, Malherbe père et fils, Buisson pères et fils. Au jeu de ces six familles, c’est plus d’une vingtaine d’avocats que l’on a vu exercer, la plupart dans le barreau.
La démographie
15 avocats composent le tableau en 1930, époque où le barreau dispose d’un grand ressort géographique qui s’étend du Raincy à Mantes la Jolie. Les barreaux de Mantes et Pontoise ont en effet fusionné.
Le Val d’Oise & Pontoise
Pontoise est l’ancien chef-lieu du département. Le passage de Saint Louis lui confère le statut de ville royale. La légende prétend qu’il rendait la justice sous un chêne, à Cergy. De son passage, restent les bases des tours du château de Pontoise détruit au XVIIIe siècle.
Saint Louis aurait pu être le Saint patron des avocats puisque c’est lui qui remet à ses conseillers juridiques, à titre de distinction, des robes de prêtres, la soutane talaire que nous portons encore aujourd’hui jusqu’au talon, comme son nom l’indique.
Ce fut Saint Nicolas dans un premier temps de 1342 à 1782 puis Saint Yves.
Le nom de « bâtonnier » que porte encore le chef de l’Ordre, lui vient même de ce que l’avocat élu par ses confrères pour les représenter, portait dans les grands jours le bâton de Saint-Nicolas, patron de la Confrérie des avocats, établie en 1342 par les compagnons clercs et procureurs. En 1782 le Barreau cessa de participer à cette confrérie ; mais le nom de « bâtonnier » est resté.
Saint Yves fut à la fois prêtre, magistrat et avocat.Il a consacré sa vie à la justice et aux pauvres. Il est célébré tous les ans à Tréguier, le 19 mai. Il est le patron de toutes les professions de justice et de droit.
Nous disposions au temps de Louis IX d’appellations mélodieuses telles chevalier es-loi, mais aussi parliers, amparliers, conteurs et bien sûr plaideurs. Saint Louis va règlementer encore notre profession et notre serment de l’époque était prêté sur les évangiles et nous imposait de ne nous occuper que de causes justes et de limiter nos honoraires à trente livres. Mis à part nos confrères britanniques, nous sommes désormais tous passés à l’Euro.
L’histoire judiciaire de Pontoise est marquée par d’autres événements importants.
Sur le parvis de la cathédrale Saint Maclou, demeure le souvenir d’une sentence judicaire qui fit grand bruit… Une trace !…celle du sang, du sang des frères d’Aulnay, Philippe et Gauthier, les amants des belles filles de Philippe le Bel.
Ils seront jugés sommairement à Pontoise pour ce crime de lèse-majesté et connaîtront tous des supplices peu raffinés mais élaborés qui avaient cours à l’époque. Marguerite et Jeanne seront tondues et conduites aux Andelys à 60 km d’ici dans les cellules de Château Gaillard. Toutes d’eux y mourront.
On ignore si les frères d’Aulnay, les héros de l’affaire de la Tour de Nesle, avaient des défenseurs pontoisiens mais je crains qu’ils n’en aient pas eu. On sait, par contre, que c’est en ville que s’est déroulé leur procès. On connaît enfin, parfaitement, la nature des tortures qui leur ont été infligées sur le parvis de la cathédrale Saint Maclou en 1314.
Les lieux judiciaires
Notre Maison de l’Avocat, que tant de confrères nous envient, à été inaugurée le 21 septembre 1994, par le Bâtonnier Patrick LAMARRE en compagnie de Pierre MEHAIGNERIE, Garde des sceaux. Celle-ci a été édifiée sous l’impulsion du Bâtonnier Alain BARBIER.
L’ancien palais situé Place Nicolas Flamel a été détruit par un incendie.
Notre actuel Palais de Justice, cité judiciaire, que d’autres nous envient, a été inauguré en le 19 janvier 2006. Depuis le 1er janvier 2020, le Tribunal de Grande Instance se nomme Tribunal Judiciaire.
Le jumelage
Avec le Barreau de Trois Rivières, au Québec (CANADA) :
Le Bâtonnier Philippe Houillon et le Bâtonnier Michel Richard ont ainsi signé un convention de jumelage le 14 décembre 1990.
Avec le Barreau d’Arlon, en Belgique :
le bâtonnier Yves Darel et le Bâtonnier Philippe Darge ont fait de même. Ils ont signé notre serment de fidélité le 11 décembre 1998. Il convient de préciser que nos relations avec le barreau d’Arlon sont, en fait, très anciennes. Le Bâtonnier François Farge a visité Arlon, pendant la première guerre mondiale et y a noué les premiers contacts avec les avocats.
Avec le Barreau de Rimnicu Vilcea, en Roumanie :
Ce jumelage est né à l’occasion d’une mission de la conférence des bâtonniers, qui a souhaité que les barreaux français créent des liens avec les barreaux de Roumanie après la révolution de 1989 et la chute de Ceausescu. Les premiers échanges se sont déroulés sous le bâtonnat de DominIque Marçot.
Le Barreau de Rimnicu Vilcea est plus ancien que le barreau du Val d’Oise. Les liens avec ce barreau sont toujours très forts à ce jour et permettent des échanges riches et amicaux.
Avec le barreau de Kigali, au Rwanda :
Des liens se sont crées après les massacres à l’initiative du Bâtonnier Gilles Paruelle qui a œuvré pour une coopération en vue d’aider à la construction d’un barreau national.
Avec le Barreau d’Urbino, en Italie et Jérusalem, en Israël :
Des échanges ont permis des échanges fructueux et études de droit comparé des systèmes judiciaires sous le bâtonnat d’Eric AZOULAY.